Cela faisait près de quatre ans que ma sœur Princesse et moi étions choyés à Tonga Terre d'Accueil. Nous avions repris une vie de lion, oublié les affres des transports de ville en ville et appris que les humains pouvaient aussi être désintéressés et vous nourrir sans spectacle ni soumission. Les vitres, les grillages et les barreaux ne nous embarrassaient guère, car nous pouvions voir d'autres lions et aussi des tigres, dont les feulements essayaient d'égaler nos rugissements - peine perdue!
Le discours de bienvenue n'a pas été très long... en fait, je crois qu'il n'y en a pas eu du tout! A 14 ans, Simba roi de Tonga commence une nouvelle vie, avec un enclos vaste à s'y perdre et une sœurette tout aussi déboussolée que lui. Un enclos avec des grillages habilement dissimulés dans des buissons, d'immenses baies vitrées, une vraie attique qui permet aux lions de dominer les humains et deux observatoires pour les visiteurs auxquels curieusement nous n'allions pas avoir accès. Mais un enclos avec des pièges! Figurez-vous que les humains soupçonneux ont caché des fils électrifiés devant les baies et le long de l'escalier qui mène à l'attique.
Je ne savais pas ce jour-là ce qu'était une clôture électrifiée. Le fil paraissait bien inoffensif et j'y mis malencontreusement la patte. Ouille! Énervé par cette première décharge, je m'en suis pris une seconde, une troisième... et j'ai couru me réfugier sous un buisson plus gros que les autres, au pied de l'observatoire du bas, derrière la vitre que l'on n'avait pas jugé digne de la punition électrique. Je restai là un bon moment, le visage écrasé sur la vitre et le cœur palpitant. Pauvre roi de Tonga, tu ne devais pas être très beau à voir, avec tes traits déformés et ton haleine qui se condensait autour de la moustache...
Petit à petit, j'éprouve la sensation curieuse d'être observé. Je risque un clin d’œil: un humain se tient là, tout près de la vitre, tout près de moi. Ce n'est pas un humain qui passe - on les appelle des visiteurs, je crois - mais un humain qui s'est arrêté près de moi, à cause de moi, pour moi. Et il parle, comme si nous nous connaissions! J'aurais aimé lui dire: Vas-t-en, espèce de fou bavard! Mais je suis trop mal même pour montrer les crocs ou tenter un cri rauque. Et il semble si bizarre, il reste là et il parle toujours... Bien sûr je ne comprends rien à ce qu'il dit, mais cela n'a pas l'air de frôler son esprit - s'il en a un!
Bientôt, les soigneurs de l'Espace Zoologique arrivent avec leurs voiturettes électriques. Parmi eux, le vétérinaire avec ses jeux de fléchettes et sa sarbacane amazonienne. On prie mon visiteur de quitter le secteur, c'est dangereux, parait-il. Il s'en va et je vous fais grâce des échanges que j'ai pu avoir avec cette troupe venue pour mater le nouveau lion... moi!
J'étais sûr que je ne reverrais plus cet humain bavard. Dommage, car il m'avait tenu compagnie à un moment où je ne savais plus quel type de lion j'étais. Peut-être m'aurait-il fait encore davantage de bien s'il s'était tu. Mais est-ce bien vrai? Pouvait-il faire autre chose pour apaiser un lion? D'ailleurs qui était-il vraiment? Y avait-il quelque chose entre nous qui ne tenait pas du hasard de la rencontre? Pourquoi ne puis-je pas tout simplement l'oublier? J'ai bien oublié père et mère. Un humain, même pas taillé pour faire une proie digne de ce nom. Quelle distance par rapport à un roi de Tonga... enfin un ex-roi de Tonga!
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